jeudi 15 novembre 2007

Idil Biret, grande dame du piano...


Nocturnes, études, polonaises, ballades, etc. Chopin s’est toujours évertué à débarrasser ces mots de leur sens traditionnel pour les recréer avec un génie total et une profondeur inouïe, nous faisant oublier ce qu’ils signifiaient avant lui, nous empêchant d’imaginer ce qu’ils pourraient être hors de son souffle. Qui se souvient des polonaises antérieures à Chopin ? Qui après lui a pu écrire un nocturne, une mazurka sans être habité par son souvenir ?

Ainsi, le scherzo était une pièce (de sonate) en forme de fantaisie légère et enjouée, jusqu’au tout début des années 1830. Et puis, Chopin jette dans l’univers cet éblouissant vertige qu’est le scherzo en si mineur op. 20. les deux accords initiaux, par leur hardiesse et leur tragique désinvolture annoncent déjà une nouvelle ère. Et puis la violence enfiévrée déferle, véhiculant une angoisse palpitante. Bientôt, la douceur est là, berceuse, en doux murmures…mais le déchirant tourbillon de traits fougueux resurgira, strident, flamboyant, transcendantal.

Tout cela, Idil Biret l’expose avec une grande clarté, et apporte un jet de lumière dans cette atmosphère divinement sombre. C’est pour mieux en dévoiler les noirs secrets. Elle prouve que tout n’a pas été dit sous les doigts des plus grands…

Idil Biret voit le jour en 1941 à Ankara dans une famille de musiciens. Enfant prodige, elle est envoyée dès l’âge de sept ans à Paris pour suivre les cours de la célèbre pédagogue Nadia Boulanger.

La voici en 1953, âgée d’à peine douze ans, donnant en concert aux côtés du grand Wilhelm Kempff le concerto pour deux pianos de Mozart. Depuis 1957 elle connaît une riche carrière internationale, jalonnée de récompenses de toutes sortes.

Mais l’essentiel est dans son jeu. Subtil, brillant, intelligent, sobre et juste. Il faut l’écouter absolument.

mardi 13 novembre 2007

Le point d'orgue de la semaine


Le Stabat Mater Op 58, d'Antonín Dvořák Par l’orchestre de la Staatskapelle de Dresde (Giuseppe Sinopoli), Avec Mariana Zvetkova (s), Ruxandra Donose (ms), Johan Botha (t), Roberto Scandiuzzi (b)

Quand Dvořák décède le 1er mai 1904 quelques mois avant son soixante-troisième anniversaire, il nous laisse un trésor où se trouvent d’inestimables gemmes. De nombreuses pièces chorales et orchestrales, 16 quatuors à cordes, 9 symphonies, plusieurs opéra, un requiem, mais aussi un Stabat Mater, inspiré par Dieu lui même, ou un de ses archanges qui aura donné à Dvořák de voir l'épouvantable et poignante scène de la crucifixion, où se tenait debout la mère en pleurs, près de la croix.

Stabat mater dolorosa
iuxta Cruxem lacrimosa,
dum pendebat Filius.

Le Stabat Mater op. 58 est une pièce inhabituelle qui a la réputation d’émouvoir les solistes qui l’interprètent, au point de les mener au bord des larmes. Alors quelle pierre jetée dans le cœur du compositeur, quelle agitation dans les tréfonds de son âme ont pu forcer ces notes à sourdre comme une fontaine miraculeuse ?

Josefa est âgée de deux jours seulement lorsqu’elle disparaît en 1875. Ružena s’en va à onze mois, en 1877, suivie la même année par son frère de trois ans et demi. C’étaient les enfants d’ Antonín Dvořák, et il n’en reste plus rien le 13 novembre 1877, le jour où le compositeur de trente six ans achève son Stabat Mater, il y a 130 ans aujourd’hui.

Le répertoire compte d’admirables Stabat Mater de tous styles, compositions vocales et orchestrales, ou de durées, d’après tout ou partie des strophes d’origine, en latin ou dans la langue du compositeur, notamment Pergolèse en 1736 (peut-être le plus fameux), Bach en 1748, Schubert en 1815 ou encore Verdi en 1898 (deuxième des « Quatre Pièces Sacrées ») et Penderecki en 1962. bien sûr il ne faut pas oublier le magnifique Stabat Mater de Rossini dont les mélodies sont inoubliables (1832 pour la première version et 1841 pour la deuxième)

Le Stabat Mater de Dvořák est un œuvre d’une grande puissance dramatique qui dès les premières mesures, fascine par son atmosphère claire-obscure, par les longues phrases des violons et violoncelles qui semblent tracer un chemin vers l’infini et interroger un Dieu mystérieux. Les solistes apportent un témoignage vibrant de l’humanité tourmentée.

Une œuvre à découvrir dans le calme, avec émotion, et peut-être cette vitole d'exception